Le croquis littéraire, c’est une rubrique qui évoque des moments saisis dans la rue ou ailleurs, avec des gens que je ne connais pas, des interactions sociales qui me font sourire et auxquelles je ne participe pas forcément. Ces instants me touchent et donnent de la saveur à ma vie, je les décris en quelques mots, pour en chercher la substance, de la manière la plus neutre possible, tout en prose. Ce croquis a été écrit fin février 2012.
La Sainte Victoire
Les beaux jours reviennent après une vague de froid venue d’on ne sait où, et les T-shirts deviennent à la mode pour quelques jours. C’est alors qu’un ami propose de lancer une randonnée à la Sainte-Victoire. Je me dis, pourquoi pas, j’ai étudié pendant cinq ans à Aix-en-Provence avec cette idée de grimper cette montagne sans jamais le faire, alors c’est l’occasion. Et puis, après avoir vécu beaucoup de changements en une année en France, je me dis que c’est un signe.
Nous nous retrouvons vers 11 heures, partons faire quelques courses et nous dirigeons vers notre objectif. Le pied de la montagne de Cézanne atteint, nous commençons à grimper. Mon estomac commence déjà à gargouiller, cette fâcheuse habitude de ne pas petit-déjeuner… Qui plus est je joue les locomotives arrière en marchant avec une Québécoise qui galère avec son genou. Oui, j’ai oublié de le préciser, mais la sortie est internationale ; il y a deux libanais, deux italiennes, une Québécoise, et quelques autres français, mais ils viennent de Bretagne (c’est une blague, je considère toute personne avec une pièce d’identité française comme un français).
Bref, retour sur le massif, il est presque 14 heures et on se retrouve pour déjeuner. C’est cool et c’est un moment de partage, je tente divers mélanges de sandwichs : gouda et saucisson, Philadelphia. Un ami ajoute des raisins secs, très peu pour moi. Le repas terminé, nous repartons à l’assaut du massif. Vers 15 heures 30 nous arrivons à la croix et profitons du panorama sublime. Je me dis alors que c’est dommage de ne pas pouvoir profiter du coucher de soleil. Je ne croyais pas si bien dire.
Une partie de l’équipe a déjà commencé la descente et nous débutons aussi le retour. Sauf que le genou de la Québécoise lui fait plus mal en descente, donc j’accompagne le mouvement et un ami reste aussi. Il doit passer un coup de fil alors je lui laisse mon téléphone, au cas où quelqu’un appelle. Nous sommes trois. L’allure est lente mais on profite du paysage. À un moment, l’ami disparaît avec mon téléphone et celui de la Québecoise, le soleil atteint la ligne d’horizon et c’est beau, mais inquiétant en même temps. Aurons-nous le temps d’atteindre ce barrage qui paraît vraiment lointain avec le reste de luminosité de la fin du jour, sans aucune lumière ni téléphone pour prévenir quelqu’un en cas de problème ? La suite nous dira que non.
Nous continuons la descente et la nuit tombe. Quelques étoiles apparaissent dans le ciel et c’est beau. Mais le sol est moins visible malgré tout, et Dieu sait qu’il y a beaucoup de cailloux, avec des formes parfois surprenantes, certains glissent et provoquent des mini-éboulements. Bref, la vie est dangereuse par moments.
La panique commence à s’emparer de nous, mais nous décidons d’un commun accord que cela ne sert à rien et que nous allons chercher la route. Premier croisement, premier doute. Je choisis la droite. Deuxième croisement, je me lance aussi sur la droite, mais on m’objecte la gauche et je me dis que c’est plus malin ; ce sera la gauche.
La conversation se déroule sur le thème du journalisme, du Québec et des loups et des ours qui ne vivent pas dans le bois d’Aix-en-Provence. On entend un cri d’appel et j’utilise ma capacité pulmonaire pour dire que ça va, en vain visiblement.
Après deux heures de marche, deux feux de voiture apparaissent au loin, et des cris. Enfin, on peut communiquer ! Nous traversons le barrage et retrouvons nos collègues soulagés, comme nous.
Jean-Baptiste Pratt