Le croquis littéraire, c’est une rubrique qui évoque des moments saisis dans la rue ou ailleurs, avec des gens que je ne connais pas, des interactions sociales qui me font sourire et auxquelles je ne participe pas forcément. Ces instants me touchent et donnent de la saveur à ma vie, je les décris en quelques mots, pour en chercher la substance, de la manière la plus neutre possible, tout en prose.
La salle de billard
Après m’être fait un nouvel ami chemin faisant, lors de mon week-end à Meysse, j’ai passé une belle journée. Le soir venu, avec mes amies, nous avons décidé de sortir et de faire découvrir le bowling à l’une d’entre elles. C’est ainsi que nous avons atterri dans la zone industrielle de Montélimar au BowlingStar. À l’accueil, un homme nous demande si nous avons réservé, puis nous dit que c’est complet. Il nous propose d’attendre mais on se retrouve le bec dans l’eau, nous ne sommes que trois et il préfère faire passer les groupes de huit. Une partie de jeu d’arcades plus tard, nous décidons de quitter les lieux.
Dehors, ça commence à râler dans la voiture, va-t-on rentrer bredouille ? J’insiste pour chercher une salle de billard grâce à mon téléphone qui décide d’abord de faire des siennes, je l’éteint et le rallume, et trouve une salle : l’Aquarium. Cela m’inspire quelques pensées… mais j’ai connu des endroits aux noms plus évocateurs. Je note l’adresse et la recherche sur le service de localisation de mon non-iphone, et c’est là que ça devient compliqué. Pas possible d’avoir un itinéraire ou quoi que ce soit d’autre. Nous errons alors dans Montélimar, moi à l’arrière, demandant à une amie de demander aux passants, ce qu’elle ne fait pas, trop gênée. Après des pourparlers, j’arrive à changer de place et je trouve quelqu’un qui m’indique l’endroit ! C’est alors que commence une virée dans l’underground montilien.
Le bar n’était donc qu’à trois-cents mètres de nous. On se gare dans une impasse, l’enseigne lumineuse apparaît sous nos yeux ébahis, devant une vitrine éteinte… Serait-ce fermé ? Non, il s’agit d’une salle de sport. Le bar se trouve dans une plus petite impasse en contrebas, le genre un peu glauque et mal éclairée. Nous arrivons devant une petite porte en bois et c’est là que j’inspire une odeur de fioul, comme chez ma grand-mère lorsque j’étais petit. Nous entrons, passons dans un long couloir et voyons des gens en train de jouer. J’espère qu’il y aura des tables libres (à croire que je ne m’étais pas encore rendu compte du cadre), et c’est le cas. La propriétaire, une femme de petite taille, la quarantaine, les cheveux noirs, en bataille, et avec de bonnes joues. Elle semble enceinte, je ne le lui demande pas, il m’est déjà arrivé de faire des gaffes avec ce genre de questions. Elle nous propose une table et nous donne un jeu de boules. C’est parfait, même si l’une de mes amies émet une réserve sur l’isolement du lieu.
C’est alors que, dans la pénombre entretenue par la lumière tamisée des canopys, je commence à remarquer les détails. Une bande de jeunes qui jouent, une tablée qui boit un verre. Les tabourets sont vissés au sol, un accessoire en moins à utiliser en cas de bagarre (je ne suis pas violent, mais au cas où). Un drapeau du Canada et un autre du Québec… Je vais commander à boire et, lorsque le patron arrive avec un chocolat chaud, je lui demande un éclaircissement sur les règles du billard, j’apprends que la règle des deux bandes n’existe plus, que l’on a le droit de fauter à la suite de la faute d’un adversaire et d’autres détails plus techniques les uns que les autres. La partie continue et c’est celle qui joue pour la première fois qui gagne le plus, la chance du débutant…
Un peu plus tard, je discute avec la patronne et l’interroge sur la raison du drapeau québecois, elle m’explique que son mari est né là-bas, qu’il n’y est pas retourné depuis longtemps. « Longtemps ? » Une question bien placée afin de faire préciser mon interlocutrice (les gens utilisent souvent ce genre de mots qui a un sens différent pour chacun. Donc, pour elle, longtemps voulait dire dix-huit ans ! Sur cet entrefait, le mari arrive, on échange et il me dit qu’il se sent français, son t-shirt de l’équipe de France valide ses propos. Je ne lui dis pas que son bar le genre de lieux que j’affectionne — entre autres— et dans lesquels j’ai passé pas mal de temps au Québec, des bars un peu miteux, avec une clientèle étrange et des odeurs inattendues (l’un d’eux sentait le produit pour le sol bon marché).
Les parties s’enchaînent, on approche de deux heures du matin. On en fait une dernière ? Allez !
Jean-Baptiste Pratt