Croquis littéraire : L’ami du pain

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Le croquis littéraire, c’est une rubrique qui évoque des moments saisis dans la rue ou ailleurs, avec des gens que je ne connais pas, des interactions sociales qui me font sourire et auxquelles je ne participe pas forcément. Ces instants me touchent et donnent de la saveur à ma vie, je les décris en quelques mots, pour en chercher la substance, de la manière la plus neutre possible, tout en prose.

L’ami du pain

Ce matin-là, je suis en week-end chez une amie à Meysse, le village attenant à la centrale nucléaire, dans laquelle mon amie travaille. M’étant couché tôt, enfin à 23h, je me suis levé tôt, une fois que mes 8h de sommeil sont passés, je ne suis plus capable de dormir.

Je me prépare un thé, j’allume l’ordinateur, essaye de brancher mon disque dur externe, me rends compte qu’il n’est pas reconnu, essaye d’installer un driver et m’aperçois que je suis en mode invité. Maudit Windows. Après une heure de pianotage et de navigation à travers les actualités technologiques, je me décide à aller acheter des croissants pour le petit-déjeuner. Je mets ma veste, enroule un foulard autour de mon cou et sors affronter le froid.

Je rejoins la petite route qui mène au village et voit un autre matinal, je le salue et lui demande où se trouve la boulangerie, il me dit s’y rendre aussi et, d’un commun accord, et malgré ça sans un mot, nous décidons de marcher ensemble. La conversation commence, le monsieur est relativement âgé, il porte un bonnet, et une veste, noirs, ses traits sont rougis par le froid et son nez est en patate.

Nous arrivons dans le cœur du village, certaines maisons sont faites en pierre apparente, allant du noir au blanc, je demande pourquoi. Elles proviennent de la rivière qui charrie des roches volcaniques, tout s’explique. Pour arriver à la boulangerie, il me fait passer par les petites rues, elles sont peu nombreuses, et, durant un court instant, je me dis qu’il pourrait être un serial-killer et me tuer ainsi, dans une ruelle sombre de Meysse (je sais, je suis parfois trop imaginatif). Ainsi, et sans me faire massacrer, nous arrivons dans la boulangerie, un commerce sombre avec relativement peu de choix, qui semble enfoncée dans une vieille bâtisse. La vendeuse sort de l’arrière-boutique, une dame qui a définitivement franchi l’âge de la retraite, toute courbée, le nez crochu, ne lui manque plus qu’un voile noir et un panier pour qu’elle se transforme en sorcière pour enfants, le genre sympathique et souriante. Son mari doit travailler à l’arrière, tout aussi ancien qu’elle. Je propose à mon compagnon de route, qui prend quatre baguettes, de faire le chemin du retour ensemble.

Ainsi, nous repartons. Il me fait visiter d’autres ruelles sans que je ne m’inquiète d’une mort imminente, il me raconte le métier de ses enfants, des ingénieurs en informatique. Il m’explique que telle maison était une ruine, telle place était un immeuble, que la rivière dépasse parfois le pont. Un oiseau se pose devant moi puis s’envole, se rendant alors avec délicatesse sur une vigne de bord de route, à l’avant d’une maison ; il remue alors ses ailes et prend du volume dans un mouvement amusant. Mon regard s’attarde sur les autres volatiles tandis que mon camarade m’explique qu’EDF a récupéré les maisons louées à des particuliers pour y loger leurs nouveaux salariés. Nous arrivons à la croisée du chemin auquel nous nous sommes croisés, se disant au revoir sans même avoir échangé nos prénoms.

Jean-Baptiste Pratt

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