Croquis L : Haut débit, haute perchée

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dieu_2Sortant de mon lieu de travail avec toute ma naïveté possible, mais sans me ridiculiser, cette fois (je m’étais coincé dans la porte de l’ascenseur, la veille, devant quatre personnes, dont un collègue de travail). Je marche dans une rue sans soleil jusqu’à que je croise une fille qui attend le bus devant une église. Elle me demande l’heure et je la lui donne, lui demandant ensuite à quelle heure passe le bus. Dans un quart d’heure. Je l’invite à marcher, la station n’étant qu’à cinq minutes, sans penser que nous irons ensemble, mais finalement oui…

Elle a la peau mate, un vêtement pastel et chaud, elle n’a pas tant d’accent québécois. Nous parlons d’abord du soleil. Oui, pour mes lecteurs sudistes, le soleil est un sujet de conversation après trois semaines nuageuses ! Je lui dis venir de France, elle me répond connaître le soleil d’Haïti depuis sa naissance, elle a vécu là-bas jusqu’à l’âge de 10 ans. Son installation, elle la doit au coup du sort, ses parents étant décédés, sa famille vivant à Montréal l’a alors accueillie. Le geste est beau. Tout ça, je l’ai appris un peu plus tard, en essayant de changer de sujet.

Après le soleil, elle me demande pourquoi je suis venu ici, dans le froid. Je réponds que j’aime les gens d’ici, et tout un tas d’autres choses. Elle répond qu’elle aussi, elle aime les gens, comme Jésus, et je me dis que le chemin va être long. Puis je décide de me ranger du côté de la curiosité, de l’empathie. Pas le temps de l’interrompre pour changer de sujet, j’ai trouvé mon maître ! Le changement de sujet étant l’une de mes pratiques favorites. Elle m’explique que dans l’évangile XXX au verset XXX Jésus a dit que XXX (cette phrase a en fait duré trois minutes, je n’ai juste pas retenu grand-chose). Son débit est incroyablement rapide, elle respire certainement, mais je ne suis pas capable de le discerner… Sa voix est aiguë et posée. Elle ne se laissera pas interrompre.

La situation me fait sourire, même si j’espère ne pas la recroiser plus tard, ces portes-ci, c’est le genre que vous n’avez pas envie d’ouvrir.

La discussion continue donc, j’apprends que Jésus a été admis au Royaume de Dieu, mais seulement en 1914, une histoire de signes dans le ciel justifierait ce fait. Mais, comme le reste, je me souviens peu de ce qu’elle a dit, j’ai essayé de cerner la forêt derrière l’arbre, plutôt. Une chronologie est évoquée, qu’elle me montrera dans un livret simplifiant les textes. Elle me parle du monde de demain, des signes de l’apocalypse. Le tout à un débit tel que je ne peux pas vraiment écouter.

J’ai essayé de détourner son torrent de parole avec quelques phrases clés, en vain. Malgré tout, je les ai trouvés drôles donc je vais les partager avec vous.
« Attention, tu dois respirer sinon tu vas mourir.
– Non, ça va, j’ai l’habitude. »
Premier échec.

« Tu as vraiment de la mémoire !
– Oui, c’est parce que Jésus dit qu’il faut retenir ses paroles. »
Même joueur joue encore (voix non-robotique et paternelle d’un de mes jouets d’enfance).

« Tu travailles ?
– Non, je répands la parole, comme tous mes frères et soeurs. De manière officielle, ou informelle. Comme maintenant. »

Elle a finalement eu raison de moi. Dans l’escalator, j’ai même fait semblant de lire sa chronologie de notre mort prochaine. Et finalement, espérant conclure sa persuasion, elle a sorti un livret d’informations bibliques de son sac en me disant qu’il contenait des informations dont elle m’avait parlé. Je l’ai pris, trop heureux de la voir partir en direction inverse et espérant ne plus la revoir. Sans blague, pour expliquer mon geste, il s’agissait surtout de faire sa journée, ça demande peu d’énergie de rendre heureux quelqu’un, et aussi peu pour le rendre triste.

Pour la petite histoire, soit Dieu me parle au travers de ses ouailles, soit je suis malchanceux. Je croise souvent des fidèles, comme ce covoitureur qui avait laissé une Bible sur le siège passager, ou cet homme qui voulait que je me repente de mes péchés devant le parlement d’Irlande du Nord, contre un biscuit « gratuit ».

Et enfin, parlons de mes croyances, je crois que chacun est libre de croire ce qu’il veut bien, dès lors qu’il agit dans le respect des autres et ne tente pas de leur imposer ses convictions. C’est ma croyance la plus profonde !

Jean-Baptiste Pratt

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