Croquis L : La vie sans voiture

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Ah, un moyen de locomotion, lorsqu’on a en un, on oublie à quel point cela facilite la vie ! Personnellement, je n’ai pas de voiture depuis presque trois ans, par choix et pas forcément par écologie, c’était simple à Montréal, ça l’est moins à Salon-de-Provence. Qui plus est, tous les moments passés dans les transports en commun ont été de grandes occasions pour moi d’observer les subtilités de la vie dans le comportement des gens (voir le premier croquis écrit sur la ligne de Marseille-Salon), d’avoir la tranquillité pour travailler sur de nouvelles idées. Cela compense largement le doublement approximatif du temps de transport.

Les aventures que je vais conter aujourd’hui se sont déroulées lors de mon voyage à Pélissanne pour apporetr des ouvrages en prévision de ma signature du samedi 1er décembre, l’objectif étant de descendre du bus et de remonter pour le récupérer sur le retour pour ne pas attendre une heure. Je brise immédiatement ce suspense insoutenable : il fut atteint.

Première étape pour qui veut utiliser la compagnie de bus de Salon-de-Provence, la gare routière, comme d’habitude je suis presque à l’heure et je stresse à l’idée de l’avoir raté, observant au loin les numéros des bus qui arrivent pour être frustré et angoissé lorsque ce n’est pas le mien. J’exagère un peu, mais quand même. Mon transport arrive avec du retard et je demande s’il s’arrête près de Carnot Presse. Oui, devant l’école des Enjouvènes, où quelques fantômes de mon enfance traînent encore. L’aller se déroule sans encombre, je m’occupe avec mon nouveau smartphone, cherchant une application pour prendre des notes et écrire un poème, l’application est installée, mais le poème refuse de venir. Tant pis. Lorsque le véhicule s’arrête je cours jusqu’à la Presse, j’arrive presque essoufflé (oui, j’aurai pu regarder les horaires et me rendre compte que le bus passait un quart plus tard, et donc prendre mon temps, mais ça n’aurait pas été moi) dans le commerce et attend mon tour stressé à l’idée de rater le retour.

Trois personnes se trouvent devant moi. Un homme prend d’abord un ticket de grattage et s’en va, rapidement. Je suis content. Ensuite c’est le tour d’un enfant qui doit avoir huit ou dix ans. Il est blond, porte une paire de lunettes rondes et rouges, un jean et un veston. Un petit homme, comme beaucoup de garçons de son âge. Le vendeur lui demande ce qu’il souhaite. Il lève un bloc-notes orange vers le ciel et s’exclame :

— Est-ce que vous avez la même chose que ça ?

— Je crois que oui, répond-il en cherchant derrière lui.

Pendant ce temps, l’enfant lance avec une grande fierté — et je le comprends — qu’il est venu seul depuis un quartier assez lointain.

— Au prix de l’essence il faut faire attention, répond le vendeur en encaissant le bloc-notes.

— Et je suis venu à pied !

— Fais attention en rentrant chez toi, lui répond-il.

Le garçon acquiesce et quitte la boutique avec son achat. J’avoue avoir été agacé par la durée de cet échange, mais la voix de l’instant présent m’a murmuré de savourer et je l’ai écoutée. Je n’ai pas particulièrement porté attention au troisième client.

Je remets rapidement mes livres et cours en sens inverse, mais le bus n’est pas là. L’ai-je raté ? Je vérifie le planning et me rends compte qu’il arrive dans dix minutes. Je promène mon regard sur le parc des marronniers (nom que je lui donnais étant enfant, puisqu’à l’automne il s’emplit de boules vertes et piquantes), il y a aussi la Poste et l’école qui ressemble à une ruche (la primaire se trouve d’un côté, la maternelle de l’autre). Tous ces endroits sont familiers, je les ai parcourus des années auparavant, et je trouve amusant, étrange, qu’ils me semblent minuscules alors qu’ils m’avaient paru si grands… Je n’ai pourtant pas cessé de m’émerveiller de chaque chose.

Dans l’abribus quatre garçons à l’allure de bad-boys discutent de fille et d’un panier de basket qui se trouve à l’autre bout du village. Ils tirent nerveusement sur une cigarette et s’accusent de crapoter (et, soudain, je me sens vieux). L’un d’eux improvise des tractions, je repense à un livre lu sur la construction de la masculinité et cette scène, dans sa globalité, me fait sourire. Ils partent rejoindre l’accessoire sportif.

Une femme vient d’arriver avec ses deux filles, deux autres jeunes s’assoient et discutent d’un machin ultra rare, j’ai l’impression que c’est un genre de Pokémon, mais je suis à la ramasse. Deux chibanias (des vieilles femmes d’origine moyen-orientale) arrivent et interpellent la dame avec ses enfants.

— Ça va ? demande l’une d’elles.

— Oui, ça va ! Alors, elle est revenue ?

— J’ai vu ses volets ouverts, ils l’ont sûrement laissé sortir de l’hôpital.

— C’était quand ?

— Quand elle sort son chien, elle le sort toujours à sept heures.

— Pas le soir, sinon elle serait morte.

Vous avez eu du mal à suivre qui parlait ? Moi aussi, j’étais à moitié sur mon téléphone. Il s’agissait, pour résumer, d’une grand-mère qui avait dû faire une chute en promenant son chien, mais je n’en suis pas certain. Je retiendrai seulement cette phrase, dite par l’une des chibanias : «Vieillir ce n’est pas grave, c’est normal. Mais vieillir seule…»

Je discute un peu avec la femme aux deux enfants, elle va voir un médecin et craint d’arriver en retard, puisque le bus l’est lui aussi. Lorsqu’il arrive, elle s’exclame : « J’espère que ce n’est pas la conductrice, elle est toujours à la bourre ! » Effectivement. Dès la montée, elle apostrophe l’employée.

— Vous êtes toujours en retard.

— Je fais comme je peux.

Ce fut l’occasion pour la conductrice de vider son sac sur les conditions de circulation sur la route d’Aurons et autres frustrations sur le métier de chauffeuse de bus. Nous arrivons enfin à Salon, j’ai accompli ma dernière mission pour les séances de dédicace et je suis satisfait, ne reste plus qu’à profiter de ces instants particuliers !

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